A l’occasion de sa tournée triomphale en France, Michel Polnareff donne à Playboy France un entretien collector ! Simon Wauquiez signe ce grand portrait à retrouver dans le numéro de Playboy France en kiosque.

« J’ai connu Michel Polnareff par le milieu des anges gardiens.
J’avais bien-sûr des amis « normaux », qui connaissaient Michel Polnareff : Nicoletta, Hervé Vilard, Fabien Lecoeuvre qui fut son attaché de presse, mais qu’aux dernières nouvelles Polnareff voulait tuer, Yann Moix, qui tente encore en vain de le faire jouer dans Podium 2, ou Frédéric, Beigbeder, qui met dans chacun de ses livres, une citation de lui, espérant – sans succès – qu’un jour il les lise. Mais on n’approche pas un fou par des gens normaux : il existe dans les hôpitaux psychiatriques des fous spécialement missionnés pour tenter de correspondre avec les cas les plus graves : ceux qui ne reviendront jamais parmi nous. Je devais trouver un de ces messagers là.
Premier souci : je n’avais pas le numéro de téléphone de Polnareff. J’avais pourtant les 06 de Tout-Paris, de Passe-Partout à Milan Kundera. Laissez-moi vous expliquer pourquoi : j’avais 20 ans, de grandes irrésolutions, des impatiences qui me chahutaient et la certitude d’avoir du destin dans ma besace. Je dînais rue Jacob avec Nicoletta et son adorable mari Jean-Christophe. L’ivresse accrochait à nos conversations des ailes lyriques. Nous trinquions au bel aujourd’hui, en parlant de la noire beauté de la nuit, de la grâce des demoiselles qui nous accompagnaient et de la nostalgie qui n’était plus ce qu’elle était. Occupés à refaire le monde alors que c’étaient nous qui étions défaits, je vois Jean-Christophe qui s’assoupissait sur son téléphone ouvert. J’eus alors l’idée du siècle : lui voler son répertoire ! Ni une, ni deux, en quelques secondes, je lui photographiais tous les numéros de téléphone. C’est ainsi que ma carrière commença : je n’ai, toutes les années qui suivirent et jusqu’à aujourd’hui, fait qu’appeler ses contacts, les inviter, les séduire … Récemment, Jean-Christophe, qui est devenu un de mes meilleurs amis, m’avoua qu’il n’était pas ivre du tout, qu’il était non-seulement conscient de ce vol, mais qu’il l’avait provoqué, pour me donner le coup de pouce sans lequel je n’aurais pas réussi. La grande classe ! Mais il n’y avait pas le numéro de Michel Polnareff.
Alors pourquoi les anges gardiens ? Nous avions, avec ma bande de copains, un running-gag : Pierre Jovanovic. Il existe des personnalités qui donnent l’impression d’être en trip hard de LSD sans en avoir pris. Jovanovic en faisait partie. Il était célèbre pour avoir vendu un million d’exemplaires d’une enquête de 40 ans sur les anges gardiens. Depuis, il donnait des conférences sur l’économie, où il annonçait chaque jour le krach total de toute la bourse, la monnaie, l’argent, la planche à billets. Partout dans le monde, des millions de gens suivaient avec passion ses vidéos qui mêlaient l’ange Gabriel, 666 et conseils boursiers, et qui disaient surtout que demain aurait lieu une apocalypse planétaire, et qu’il fallait donc vite retirer ses économies, car demain matin, toutes les banques mondiales fermeront. Je le voyais un peu comme ce personnage de L’île mystérieuse de Tintin, qui tape sur une cloche, annonçant la fin du monde. Il ne faut jamais fréquenter les gens dont on se moque, car on finit par les aimer. Pierre et moi devînmes amis, et quand je vis son niveau de vie, je me dis que finalement l’ange Gabriel était un bon conseiller en placements boursiers. C’était lors d’un dîner au Meurice – car en plus d’être intelligent, notre ange était généreux– qu’il me parla de Polnareff.
Il me racontait que tandis que le monde entier cherchait en vain à joindre Polnareff – Sarko, Drucker ou son Manager – Michel l’appelait cent fois par jour, toujours en visio, en robe de chambre et avec une coupe de champagne, pour lui parler sans fin de considérations informatiques, ésotériques, ou en tout cas hallucinogènes. C’est grâce à cet ange gardien que j’ai pu faire cette interview de Polnareff. Et quand Polnareff hésitât à la faire et failli nous planter, Jovanovic eut cette phrase géniale : «si Polnareff ne la fait pas, tu ne devras avoir aucun regret, car cela voudra dire que Pol- nareff est mort, qu’il n’est plus en état de comprendre l’intérêt de te donner une interview, et que donc il est fini». Pierre, I love you.
Mais pourquoi Polnareff ? Polnareff, c’était pour moi cet étrange jeune homme, que Paris accueillit comme un prodige, et qui, après avoir commis quelques tubes, s’éclipsa de la scène musicale pour n’y revenir qu’au soir de sa vie sous la forme d’un mythe : un météore qui, après avoir révolutionné la chanson française, et au-delà la notion même de musique, renonça à celle-ci, pour mener sous des cieux californiens une vie errante et libre. Parfois, on le revoyait dans les pages à scandale des magazines, et l’on pensait que s’il vivait sur des cimes abyssales, il explorait souvent les gouffres de l’existence, voire ses chutes lui permettaient d’atteindre des sommets. D’autres se souviennent de la démarche mal assurée de Michel Polnareff, qui descendait tous les jours, vers 16 heures, prendre sa vodka orange – la vodka de la défonce – au bar du Royal Monceau. Il vécut cinq ans sans sortir du palace, en tenue de sport, chaussures Nike, et lunettes noires. Un jour l’ascenseur s’est arrêté à l’étage d’un hôpital psychiatrique.
Polnareff est-il fou ? C’est ce que m’avaient dit Frédéric Beigbeder et Fabien Lecoeuvre : « Rien à faire avec lui, il est trop fou ». Le star-système m’a toujours ennuyé, je le trouvais prévisible, décevant, organisé, et je finissais par penser, à l’instar de Fontenelle, que si la raison dominait sur la terre, il ne s’y passerait rien. Polnareff a toujours estimé que c’était une erreur de croire qu’on devait se débarrasser de sa névrose, mais qu’il fallait au contraire éprouver ce qu’elle signifie, ce qu’elle a à nous enseigner, quelle est sa visée. Il lui en est même devenu reconnaissant, car c’est elle qui lui permit d’avoir ce génie absolu. Il n’a jamais guéri de sa névrose : c’est sa névrose qui l’a soigné. Au fond, pour paraphraser Cocteau, Michel Polnareff n’est qu’un fou qui se prend pour Michel Polnareff : quand la plupart des petits chanteurs se prennent pour un autre, c’est-à-dire qu’ils tâchent de ressembler à quelque chose de déjà connu, de catalogué, qui ne nous surprend pas, à quoi l’œil de l’humanité est accoutumé. Lui, au contraire, se prend violemment pour lui-même, sans aucune concession pour le monde, et c’est peut-être ça sa folie.
J’ai fait 300 interviews dans ma vie, à tel point que je suis aujourd’hui plus à l’aise dans une interview que dans la vie. Pire, je transforme chaque rencontre en interview. Revenu de tout sans être jamais allé nulle part, blasé, je finissais par penser comme Sartre que l’homme est une passion inutile. Il est dur de ne pas obtenir ce qu’on désire, mais il est encore plus dur de l’avoir ob- tenu. Je ne me souviens que seulement de quelques-unes : Roland Jaccard , car ce fut la première, et cinq années après je prononcerai son oraison funèbre, le lendemain de son suicide ; Nicolas Ker, car il fit une crise cardiaque pendant l’enregistrement et Enora Malagré, car je pense ce soir-là avoir atteint l’idée ultime du néant : le grand vide métaphysique. Mais je me souviendrai toujours de l’interview de Michel Polnareff pour une raison toute bête, ridicule, si ridicule que je ne devrais pas la raconter ici. Mais pourtant essentielle.
Je n’ai jamais été fidèle à mes maîtresses, mais je l’ai toujours été à mes vieux maîtres, et surtout à mes amis. À 17 ans, mon meilleur ami s’appelait Antoine, nous étions tous les deux beaux, riches, intelligents, plein d’avenir et de rêves, et pourtant nous étions des enfants tristes. Nous avons toujours été des enfants tristes. Et nous savions que les rêves sont des désirs sans courage. Alors le soir, tous les deux, nous plantions les bougies de notre romantisme noir sur tous les comptoirs, nous les allumions et nous nous y brûlions. Il était doux et enivrant de caresser l’idée du suicide… Et nous nous étions toujours dit qu’un jour, on mourrait, ensemble, sur Le Bal des Lazes. La musique, avait dit Victor Hugo, c’est du bruit qui pense. N’importe quoi, Le Bal des Lazes, c’était de la magie qui pleure. Peu importent les paroles, c’était une page blanche sur laquelle on s’imaginait dessiner notre mort, qu’on coloriait en clair ou en obscur, selon notre humeur. Pureté inouïe, presque douloureuse, de ces notes bleutées, qui dansaient autour de nous. Si Dieu existait, il avait le sourire d’aube de ce jeune homme qui « sera pendu demain matin, dommage pour la fille ». Les années ont ensuite passé, j’ai continué mes études, j’ai commencé mes émissions, Antoine de son côté a sombré dans la drogue. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à Athènes, il était une loque, et avait voulu me tuer lors d’un retour d’acide, j’ai vu les pompiers l’emmener, perdu à jamais. J’avais choisi la clarté, il avait choisi la nuit, j’avais choisi la vie, il avait choisi la mort. J’interview Polnareff sur « le bal des Lazes » pour Playboy , il doit toujours l’écouter là-bas quelque part…
Simon Wauquiez : Quand vous racontez votre enfance, il y a ce père mélodiste, cette mère danseuse, donc on pourrait imaginer une enfance un peu bohème, un peu artistique, et au contraire, vous racontez une enfance psychorigide, militaire, un père qui vous obligeait à jouer 10 heures par jour au clavier, qui vous interdisait de jouer avec les gosses de peur des microbes ou des mauvaises fréquentations, qui vous interdisait de posséder des disques que vous étiez obligé de cacher sous la table de la salle à manger… On pourrait se demander, vous qui vous dites un enfant premier dans toutes les matières, ce père, qui était presque monstrueux, traumatisant, vous a permis en quelque sorte d’être un génie ? Est-ce que si, par exemple, votre père avait été un type très sympa, très bohème, vous seriez peut-être devenu complètement autre chose et vous n’auriez pas du tout été Michel Polnareff ?
Michel Polnareff : C’est difficile de savoir quelque chose qui ne s’est pas passé parce qu’effectivement, j’étais, comme vous dites, dans une enfance psychorigide, avec la peur des contacts avec les autres enfants. J’ai eu une enfance qui était, disons, très studieuse et pas très sympathique. Mais c’est la raison pour laquelle je me suis cassé à 18 ans en claquant la porte et en disant « OK, je serais mieux dehors que dedans ».
S. W. : Et toute votre vie d’ailleurs, chaque décision était précédée de l’interrogation :« Qu’aurait fait mon père ? Je fais l’inverse ! ».
M. P. : Oui, il n’avait pas raison sur tout et en fait il avait raison sur pas beaucoup de choses. Il venait d’une autre culture, c’était quelqu’un qui avait échappé à la révolution russe, et qui, à mon avis, cherchait un petit peu son chemin en tant que survivant. La bonne nouvelle, en tout cas pour moi, c’est que je lui ai pardonné depuis et ça m’aide beaucoup. »
Un entretien à retrouver en intégralité dans le numéro de Playboy France en kiosque !
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