Un être hybride, un monstre unique en son genre, étendard d’une société ancienne et bariolée, avec ses bandanas et ses TOC, hante les couloirs souterrains des Internationaux de France. Le Minotaure de Manacor ! Montherlant en serait peut-être tombé amoureux, lui qui adorait la corrida… Rafael Nadal effectue un dernier tour de piste à Roland-Garros (même s’il devrait y être de retour, fin juillet, pour les JO). De Madrid à New York, en passant par Melbourne et Wimbledon, après les triomphes, les blessures, les titres et le désespoir, c’est désormais dans le labyrinthe de la vie réelle que la légende va devoir évoluer. Mais que pensait « Rafa », à quelques minutes de son affrontement contre Zverev, à qui échoit, ce 27 mai 2024, le rôle d’un Thésée pas très motivé. Playboy France a pu deviner ses impressions. Elle étaient tout simplement consignées dans L’Aleph de Borgès.

« Tous les ans, des êtres humains pénètrent dans ma maison pour que je les délivre de toute souffrance. J’entends leurs pas et leurs voix au fond des galeries de pierres, et je cours joyeusement à leur rencontre. Ils tombent l’un après l’autre, sans même que mes mains soient tachées de sang. Ils restent là où ils sont tombés. Et leurs cadavres m’aident à distinguer des autres telles ou telle galerie. J’ignore qui ils sont. Mais je sais que l’un d’eux, au moment de mourir, annonça qu’un jour viendrait mon rédempteur. Depuis lors, la solitude ne me fait plus souffrir, parce que je sais que mon rédempteur existe et qu’à la fin il se lèvera sur la poussière. Si je pouvais entendre toutes les rumeurs du monde, je percevrais le bruit de ses pas. Pourvu qu’il me conduise dans un lieu où il y aura moins de galeries et moins de portes. Comment sera mon rédempteur ? Je me le demande. Sera-t-il un taureau ou un homme ? Sera-t-il taureau à tête d’homme ? Ou sera-t-il comme moi ? »

Il pleure dans les cœurs comme il pleut sur le « central ». On a fermé le toit du court Philippe-Chatrier, comme pour un enterrement à huis-clos. Il fait presque nuit. Cruelle mise à mort au crépuscule… Carlos Moya, l’entraîneur de Nadal, fait semblant de sourire. Toute la famille est là. Lunettes de soleil pour la sœur et mini raquette Babolat pour bébé Nadal, assis sur les genoux de sa maman, prêt à venger son père. Tous les regards sont braqués sur le taureau majorquin. Même Nolwenn Leroy est venue voir ça. D’un coup de sabot, Nadal balaye, pour la dernière fois, la terre battue qui recouvre la ligne de fond de court de son tournoi préféré. Il ne supporte pas la vision de ces petites taches, couleur de sang séché. Son adversaire aura-t-il suffisamment de piques, de banderilles et de balles neuves pour venir à bout de notre héros au corps meurtri ? La foule retient son souffle. Rafa est au service… Les yeux au ciel, comme une prière. Le coup droit lasso claque comme un fouet, suivi d’un râle inimitable, dont l’écho résonne dans l’éternité. Adieu !