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     En décembre 2023, nous avions pu rencontrer YOSHIKI sur plusieurs jours à l’occasion de sa venue à Paris pour présenter son film YOSHIKI : Under The Sky : un dîner mémorable au Mandarin Oriental en l’honneur de Maison Yoshiki, sa marque de vêtements, puis le lendemain une petite interview, la projection de son film suivie d’un cocktail. Toute cette aventure est déjà racontée dans notre article « YOSHIKI sous le ciel de Paris » !
     Ce que l’histoire ne disait pas, c’est qu’il y a eu un prélude à cette rencontre. En effet, fin septembre 2023, nous avions déjà eu rendez-vous avec YOSHIKI, cette fois-ci via Zoom, pour réaliser une première interview. La différence est que celle-ci avait duré une heure et nous avait permis de plonger en profondeur dans une conversation comme il n’a peut-être jamais livrée à aucun média. Nous vous proposons donc cet entretien exclusif, sa plus belle interview en français. Au menu : YOSHIKI et le cinéma ; son processus précis de composition ; ses mélodies favorites ; Guns N’ Roses ; sa santé ; la collab de ses rêves s’il pouvait choisir n’importe qui ; ses projets encore mystérieux comme Violet UK ou Kiss the sky, son envie de vivre à Paris, et plus encore… Bref, une bombe historique !

YOSHIKI : Allo. Allo…?

Playboy France : Bonjour ! Tu m’entends ?

Oui !

Merci de nous accorder cet entretien. J’espère que tes problèmes de santé sont un peu résolus.

Je fais de mon mieux. À l’heure actuelle, je peux me produire mais je ressens une douleur dès que j’appuie sur les touches du piano.

Est-ce surtout ton poignet gauche qui te gêne ? J’ai remarqué, en te voyant jouer récemment, que tu le secouais entre deux accords, comme si tu essayais de te débarrasser d’une gêne.

Oui… C’est surtout le gauche. J’essaie d’utiliser ma main gauche le moins possible et de compenser avec la droite.

Tu as récemment été immortalisé au Chinese Theatre à Los Angeles. Qu’as-tu ressenti ?

Je suis très reconnaissant mais je me demande si je mérite vraiment cet honneur. J’avais l’impression de rêver.

Quand tu étais enfant, est-ce que tu rêvais d’Hollywood ? Maintenant que tes empreintes y sont imprimées dans le ciment pour l’éternité, ça doit te paraître fou.

C’est assez dingue, en effet. Dans mon discours, j’ai dit que la première fois que je suis venu aux États-Unis, j’avais la vingtaine et je parlais à peine anglais. J’ai dû tout reprendre à zéro en arrivant ici, ce n’était pas prémédité.

Tu as aussi réalisé ton premier film récemment mais est-ce vraiment la première fois que tu endosses ce rôle ? Chaque concert de X Japan, au Tokyo Dome par exemple, est un film en soi. Il me semble que tu as toujours voulu donner à tes performances, et même à ta vie, un côté cinématique et éminemment mélodramatique. À mon sens, tu étais déjà réalisateur quand tu étais derrière ta batterie, sur scène.

Très bonne analyse ! Tu as tout à fait raison. Je faisais déjà sensiblement la même chose mais cette fois-ci, on m’a demandé de mettre réalisateur à côté de mon nom. J’ai déjà réalisé des clips aussi alors ça n’est pas vraiment nouveau.

Avec Under the sky, quelles étaient tes motivations et comment as-tu choisi les artistes qui jouent avec toi ?

Je voulais collaborer avec des artistes qui ont un côté « edgy » et proposer quelque chose d’assez diversifié. Comme je joue du classique et du rock (et tout ce qui peut exister entre les deux), j’ai essayé d’incorporer tous ces éléments dans le film.

Est-ce que ça va sortir sur YouTube ?

Pour l’instant, ça va sortir au cinéma au Japon et peut-être également dans d’autres pays. Il faut encore que je finalise les détails. (NDLR – depuis, il a été annoncé que le film serait bientôt distribué sur les plateformes digitales aux USA en 2024)

En parlant de cinéma, on t’a déjà demandé de composer la musique d’un film ?

J’aimerais beaucoup mais composer toute la musique d’un film me prendrait du temps… Mais si j’avais l’opportunité de le faire, ça me plairait.

Si tu pouvais choisir, est-ce que tu as un réalisateur préféré avec qui tu aimerais travailler ?

Francis Ford Coppola ou Martin Scorsese. J’aime bien les films d’action aussi, pourquoi pas James Gunn.

Et toi, est-ce que cette expérience Under the sky t’a donné envie de réaliser d’autres films dans le futur ?

À vrai dire, oui. Au départ, je n’étais pas spécialement convaincu mais en voyant la réaction des gens, dans le monde entier, ça m’a convaincu.

Tout ça me fait penser à ta propre vie qui, comme je le disais tout à l’heure, est plus incroyable qu’un film. Est-ce que quelqu’un t’a déjà suggéré l’idée d’un biopic sur Yoshiki ?

Comment tu sais ? Oui, c’est arrivé plusieurs fois. Ma vie peut parfois paraître un peu trop « écrite » pour être vraie, et pourtant…

C’était un projet japonais ou américain ?

Les deux.

Qui tu verrais pour jouer ton rôle ?

Je ne sais pas trop… Je n’y ai pas vraiment réfléchi.

Au sujet de ta musique, est-ce que tu dirais que ta façon de composer a changé entre des morceaux comme Tears et maintenant Requiem ou Kiss the sky ? On dirait que tu n’utilises plus les mêmes progressions d’accords.

C’est vrai… En fait, je compose surtout la mélodie en premier. Quand je compose, je n’utilise pas d’instrument, j’écris directement sur une partition. Habituellement, je commence par la mélodie et la progression d’accords vient se coller dessus, ou plutôt dessous. C’est assez inhabituel comme façon de faire. Pour Requiem, la progression d’accords est très différente de celles de mes anciens morceaux mais c’est à cause de la mélodie.

Quelle est ta mélodie préférée dans tout ce que tu as composé ?

Elles sont toutes les deux très simples mais je dirais Endless Rain ou Tears. Récemment, c’est Requiem car elle a une signification particulière pour moi. Je l’ai dédiée à ma mère qui est décédée l’année dernière.

Est-ce que tu te rends compte que tu as inventé une manière de jouer du piano ? Ça se ressent également dans ta façon de jouer de la batterie d’ailleurs, les deux sont liées.

C’est gentil de dire ça. Merci… Je m’entraîne beaucoup au piano, j’ai différents professeurs dans le monde entier. J’essaie d’apprendre à jouer Chopin ou Beethoven correctement, je veux dire de la façon dont ça devrait être joué. J’essaie ensuite d’incorporer tout ça dans ma propre musique. La batterie et le piano sont deux instruments à percussion. Je joue de la guitare aussi, mais ce n’est pas ma spécialité. Le toucher, au piano comme à la batterie, est fondamental. Par exemple, j’ai modifié la vélocité de mon clavier MIDI. Généralement, l’amplitude du toucher, suivant la force avec laquelle on appuie sur les touches, va de 1 à 100. Le mien va de 1 à 10 000. Ça me permet de jouer des sons très doux ou très puissants. C’est comme ça que je fais traduis mes émotions en musique. Parfois, je touche le piano comme si je caressais un corps…

Parfois, tu fais l’inverse. Le solo de piano sur Art of Life, par exemple, peut faire penser à de la batterie, avec tous les clusters.

Oui, là c’est carrément comme si j’essayais de casser le piano. (rires)

Musicalement, de quoi es-tu le plus fier ?

Bonne question… Je ne sais pas trop. Je n’ai même pas l’impression d’avoir accompli tant de choses que ça.

Oui enfin on ne peut pas dire que ce soit très commun de composer un concerto pour l’Empereur du Japon !

C’est vrai…

Est-ce qu’une chanson en particulier, quand tu étais plus jeune, t’a fait te rendre compte que tu avais un don pour la composition ?

Ma mère me disait que je composais déjà des chansons toutes simples quand j’avais 8 ou 9 ans… La musique classique m’a toujours accompagné.

Tu avais un compositeur préféré ?

Beethoven… Mon père m’avait acheté une biographie de Beethoven, j’avais trouvé ça très triste. Sa vie… J’ai toujours ressenti une immense tristesse dans ses mélodies et sa musique. Il m’a énormément inspiré.

Est-ce que tu es déjà allé à Vienne ? Lui y passait du temps à la campagne pour essayer de se soigner.

J’y suis passé il y a quelques années pour une avant-première. Dans l’hôtel où je dormais, il y avait une statue de Beethoven dans ma chambre. C’était assez effrayant la nuit car j’avais l’impression que la statue me dévisageait. C’est comme ça que j’ai fait la rencontre de Beethoven !

Si tu pouvais être le batteur de ton groupe idéal, qui choisirais-tu pour t’accompagner ?

Intéressant. Si je pouvais collaborer avec Beethoven, je pourrais jouer un solo de batterie pendant qu’il est au piano. Mais bon, j’aime bien les trucs un peu plus « hard », comme tu sais. Je parlais à Lars de Metallica il n’y a pas longtemps, en lui disant qu’il leur manquait un pianiste. Je pourrais jouer quelques chansons avec eux.

Exact ! Ils devraient incorporer un peu plus de piano, au moins sur Nothing else matters.

Exactement, ce serait parfait.

La trajectoire de ta carrière avec X Japan me rappelle celle des Guns N’ Roses. Au départ, des chansons exclusivement rock et puis on passe à November Rain et Estranged, comme toi avec Endless Rain. Dès que le piano apparaît, la musique devient plus complexe et plus belle.

Oui, j’adore les Guns, c’est le meilleur groupe du monde. Je connais bien Richard Fortus d’ailleurs.

C’est vrai qu’il a joué avec toi.

Il a joué avec X Japan en 2008, pour le retour du groupe et puis à Coachella en 2018. Je crois même qu’il a joué Endless Rain avec les Guns.

C’est bien le cas ! En duo avec Robin Finck, en 2006. Est-ce que tu t’es déjà demandé à quoi ressemblerait ta carrière si tu avais été Américain ? Tu crois que X Japan aurait pris la place des Guns ?

Intéressant. Je ne me suis jamais posé la question… Je ne sais pas. Il y a vingt ou trente ans, autant dire dans une autre vie, quand je suis venu aux États-Unis en disant : « Je suis une rockstar japonaise », tout le monde s’en foutait. En tout cas, j’avais l’impression que tout le monde s’en foutait. Les artistes asiatiques sont perçus bien différemment en Occident aujourd’hui. Je pense qu’on les accepte beaucoup plus facilement.

Il n’y a qu’à voir le succès de la K-Pop.

Tout à fait, c’est incroyable.

Les deux cultures sont tellement différentes. Comme tu habites à Los Angeles depuis plus de vingt ans, est-ce que tu penses t’être un peu occidentalisé sans le vouloir ?

J’ai toujours ressenti une connexion très forte avec les Européens. J’aime bien les Américains aussi, mais bon… (rires)

Est-ce que tu penses que certaines parties du globe sont plus réceptives à ta musique ?

Disons qu’au départ, quand j’ai essayé de percer à l’international, l’Europe était plus réceptive. Ces jours-ci, je passe beaucoup de temps à Paris. J’ai l’opportunité de collaborer avec différentes marques, dans plein d’horizons différents. Que ce soit du champagne ou avec Baccarat, ou bien ma ligne de vêtements (Maison Yoshiki Paris)… J’adore venir à Paris. C’était comme une évidence quand je suis venu la première fois, j’ai adoré la ville et les gens. Il y a une énergie incroyable ! En fait, quand je suis à Paris, je n’ai pas l’impression d’être à l’étranger du tout. C’est le premier pays que j’ai visité, quand j’y pense. Aujourd’hui, aux États-Unis, je ne me sens plus comme un étranger non plus mais ça a pris trente ans.

Tu as récemment chanté pour la première fois quand tu as chanté Angel à la télé. Qu’est-ce que tu as pensé de ta performance ? Je sais que tu es perfectionniste… Est-ce que tu avais considéré être chanteur dans X Japan ?

J’ai la chance d’avoir toujours été entouré de très bons chanteurs alors… Dans mon tout premier groupe, c’est moi qui chantais, quand j’avais douze ans. Pour Angel, c’était spécial car le thème de l’émission, c’était de rendre hommage à quelqu’un donc c’était l’occasion de dédier la chanson à ma mère. Si l’opportunité se présente à nouveau, je le referai peut-être.

Tu as aimé donc ?

Disons que je ne déteste pas. (rires) Si la chanson s’y prête et s’il y a une bonne raison pour que ce soit moi qui l’interprète, alors pourquoi pas.

Comment tu fonctionnes en studio ? Est-ce que tu enregistres tout toi-même d’abord puis tu fais venir les autres en leur demandant de proposer des idées ?

Comme je t’ai dit, je commence avec mon stylo et une partition. Ensuite, je programme le piano et les guitares en MIDI, en gros je finis la chanson tout seul, avant même l’intervention d’autres musiciens mais avec X Japan, je suis toujours à l’écoute de la façon dont les autres membres vont « traduire » mes arrangements.

Est-ce que tu penses finaliser ton projet Violet UK un jour ?

En fait, cette année, j’ai été pas mal occupé mais l’année prochaine (NDLR – en 2024), je vais essayer de finir un paquet de choses sur lesquelles je travaille depuis trente ans. J’y pensais encore récemment… Je ne sais pas si j’utiliserai le nom Violet UK d’ailleurs, peut-être que ça sortira sous le nom YOSHIKI. Violet UK, ça a commencé comme un projet expérimental mais ça a pas mal évolué avec le temps alors peut-être que le nom n’a plus trop de sens aujourd’hui. J’ai beaucoup de morceaux intéressants à sortir.

Ce serait bien aussi si tu finissais Kiss the sky !

Oui, c’est une très longue chanson, assez compliquée. Un peu comme Art of Life, mais un peu moins long quand même. Ça prend du temps ! L’enregistrement est terminé, le mix aussi, enfin presque. (rires) C’est une question de timing désormais.

Tu dois avoir des centaines de pistes dans Pro Tools…

Oui, c’est très alambiqué ! (rires)

Quelle est ta partie préférée dans le processus créatif ? Est-ce que c’est lorsque tu as l’idée d’une mélodie, les arrangements, jouer la chanson…?

C’est une combinaison d’un peu tout ça mais quand j’arrive à trouver une mélodie qui va me toucher… Parfois, je me demande pourquoi je suis encore en vie mais ce qui me donne du courage et la force de continuer, c’est la recherche incessante de mélodies suffisamment belles et puissantes pour garder l’envie de vivre. Mon but, c’est d’aider les autres avec ma musique, c’est pour ça que je suis toujours vivant, je pense.

Est-ce que tu as un souvenir particulier d’un moment, d’un concert, où tu as ressenti à quel point la musique pouvait avoir un impact émotionnel ?

Ce n’était pas une expérience religieuse à proprement parler mais lorsque je me suis produit au Carnegie Hall à New York en 2017, j’ai joué Moonlight Sonata – et c’est comme si je m’écoutais et me regardais jouer, d’un point de vue extérieur. Mes doigts bougeaient sur le clavier sans que j’y pense vraiment. C’était extraordinaire…

Je t’avais vu à Paris lors de cette tournée, en 2014. On s’était même croisés et je t’avais donné une copie de mon album.

C’est vrai ! Toshi était là aussi.

Est-ce qu’on va en savoir plus sur Maison Yoshiki bientôt ?

On devait organiser un défilé ce mois-ci (NDLR – septembre 2023) mais j’ai eu tellement de choses à faire. Ce sera plutôt l’année prochaine.
(NDLR – YOSHIKI vient de lancer officiellement sa collection avec un grand défilé à la fashion week de Milan !)

Tu travailles avec un designer ou tu fais tout par toi-même ?

J’ai toute une équipe à Paris.

Merci pour tout. Je pense qu’on se croisera à Londres car je vais sûrement venir assister au concert.

Oh, super ! J’ai prévu de faire un truc assez choquant.

Tu vas jouer de la batterie ?

Comment tu sais ?

Je sais tout ! Encore merci d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.

Au revoir, bonne nuit.

Entretien par David Vesper, le 26 septembre 2023 à 3 h du matin, via Zoom, Paris-Los Angeles.