Interview Interview Patrick Coutin

Propos recueillis par Bruce TRINGALE

Avec « J’aime regarder les filles » et « Fais-moi jouir », Patrick Coutin a fait monter la température du Juke-Box des années 80. Pour Playboy cette figure d’un rock français à l’efficacité démoniaque dévoile son univers érotique nimbé de féminisme et d’humanisme.

Tu as commencé cette interview en disant ne plus vouloir parler de J’aime regarder les filles et Fais-moi jouir.  Même pour Playboy ?
(Rires) J’en ai tellement parlé mais puisque c’est pour Playboy… Ce n’est pas comme si je donnais une interview pour Le Monde !  Fais-moi jouir, c’était vraiment écrit pour provoquer. Ma génération voulait provoquer ses parents, c’était facile, c’était la libération des mœurs. D’où les cheveux longs, une façon féminine de s’habiller, les 1ères revendications féministes. La sexualité était là pour provoquer. J’aime regarder les filles a immédiatement été interdit sur les grandes radios. Je voulais avoir des problèmes, je n’ai rien fait pour les éviter. On était les héritiers de ces artistes comme les Doors, les Stones qui rêvaient de changer le monde.

Fais-moi jouir a une mélodie à la Gainsbourg. Un hommage à Je t’aime, moi non plus ?
On me l’a souvent dit mais très sincèrement je n’ai jamais pensé avoir le niveau musical de Gainsbourg. Du coup, c’est difficile de l’imiter…

Et si on parlait de Fille Facile  sur ton deuxième album pour une fois ? C’est une chanson fabuleuse  qui parle de ton expérience avec les groupies ?
Je parle de ma copine de l’époque et de cette époque. Elle s’appelait Cathy, elle voulait avoir un maximum d’expériences sexuelles. Jusque dans les années 80, on la considérait comme une salope.
A cette époque, tu avais encore des coins en France où il fallait épouser une fille vierge, où on exposait le sang du drap après la nuit de noces. Voilà ce que l’on voulait provoquer, tu vois ?
Donc là je chante : « c’est une fille facile mais je l’aime comme ça. » C’était ça le pouvoir bourgeois : faire d’une femme une machine à enfanter. Il n’était pas question que la femme ait du plaisir. C’était une revendication révolutionnaire sous influence de Marianne Faithful, de Nico : les femmes font ce qu’elles veulent de leur corps.

La suite de « J’aime regarder les filles », point d’orgue d’un deuxième album injustement méconnu.

D’ailleurs, tout l’album est merveilleux  notamment Un étranger dans la ville qui ouvre le bal.
C’est ma réponse à J’aime regarder les filles. C’est le moment oùtout le monde te trouve intelligent, cultivé, t’invite partout. Et partout où j’allais je ne me sentais jamais chez moi. L’étranger dans la ville c’était moi, je faisais les salons mais je me sentais mieux chez mon boulanger ou mon charcutier.   Mes amis m’avaient laissé tomber, mes nouveaux amis étaient là pour mon succès. On m’accusait de pactiser avec la bourgeoisie. Je ne balançais plus de pavés dans la rue mais on me voyait chez Drucker…

Revenons à Playboy. Tu lisais ça dans les années 80 ?
Pas toujours, mais j’aimais bien. Lire Playboy, c’était une presse adulte, une presse de riches, de jeunes hommes d’affaires qui avaient réussi. C’était une presse très spécialisée qui venait des States.  Ces journaux participaient à leur manière à la révolution entre les hommes et les femmes. Tu pouvais avoir des nanas qui revendiquaient la liberté de se dénuder dans un magazine de charme.
Tu en trouvais avec Lui dans les cabinets médicaux, chez les coiffeurs aussi…

Playboy publiait de grandes interviews : Brando, Hemingway, Capote…
Oui et souvent menées par de grands écrivains américains. Du coup tu pouvais lire ces grands entretiens et voir des filles dénudées. C’était à la fois transgressif et hypocrite. C’était une explosion des mœurs.

L’interview que Brando donna à Playboy sera ensuite réédité dans un livre culte.

Quelle serait LA chanson érotique dont tu ne t’es jamais lassé ?

Ah ! Save Me de Julie Driscoll avec Brian Auger. Je devais avoir 16 ans, on était en vacances dans le sud de la France. J’accompagnais ma mère au casino et au moment d’ouvrir la porte j’ai entendu un son jamais entendu. Je restais dehors et attendais ma mère en écoutant la musique par la porte entrebâillée. Le portier a vu que j’étais fasciné, il m’a fait rentrer et j’ai pu assister au concert de Julie Driscoll ! Elle chantait en dansant de manière très sensuelle. C’était le choc de ma vie.  C’était la 1ère fois que je voyais du rock et une fille en totale liberté.
Sinon Françoise Hardy était mon fantasme absolu, j’ai toujours aimé sa timidité, sa candeur.
Je la croisais souvent au drugstore où je piquais mes disques…Les vendeurs le savaient mais ne me disaient rien.

Tu as écrit un livre sur Jim Morrison. Quelle serait sa chanson la plus sexuelle ?
Ah L.A Woman, bien sûr! On parle d’Hollywood, une ville piège où vont les plus belles femmes du monde. Que tu sois caissière ou femme de ménage, tout le monde y va pour devenir actrice. Il y a cet amas de gens beaux, tu peux te faire refaire les seins au coin de la rue. Et c’est une ville émouvante puisque tous les gens sont perdus dans ce miroir aux alouettes. 90% de ceux qui y descendent sont des Marilyn ou des Brad Pitt en devenir… qui ne le seront jamais. L.A Woman vit dans cette solitude, dans un bungalow, c’est comme une chambre de bonne chez nous. Hollywood a d’abord été la capitale du cinéma porno. C’est une ville où la femme est fragilisée et où elle peut devenir très dure.
Morrison parle de cette relation aux femmes et à la mort.

La bio de Coutin sur le Roi Lézard parue chez Les Indociles.

Avec tout le respect que j’ai pour Morrison, c’est la vision romantique d’un homme de 27 ans, non ?  Est-ce toujours la tienne à 70 ans ?
(Longue réflexion) Oui et non. La première femme que tu rencontres est ta mère. C’est ce que tu vas chercher toute ta vie, cet amour inconditionnel quoique tu fasses. Or cette relation parfaite n’existe pas.  Après vient la relation de désir…
Ce qui a beaucoup changé, c’est la relation que nous avons aux femmes, le devoir et le droit de les respecter. Bien entendu, les femmes que je regarde dans la rue sont les mêmes mais je ne les envisage plus de la même manière que lorsque j’avais 18 ans.
Mes fantasmes c’était Beauvoir, Simone Veil, Janis Joplin, la chanteuse de Texas, des femmes artistes, des créatrices…Ah j’adorais Amanda Lear aussi, elle était drôle, intelligente, j’ai passé des moments délicieux avec elle sur un tournage. J’ai beaucoup fantasmé à sur Catherine Ringer pour sa liberté, sa puissance, l’expression de son corps. Anna Karina, aussi.
Chez les hommes, c’était Keith Richards évidemment.

Bardot ?
Oui, bien sûr. On a beaucoup critiqué ses positions politiques. Mais son engagement pour les animaux est sincère, elle n’a jamais fait semblant. Une belle femme qui s’est battue pour sa liberté et qui est devenue âgée de manière remarquable, qui a refusé de se lifter.

Dans La Jungle en bas de chez toi, tu parles de James Dean. Plutôt Dean ou Brando ?
Ils étaient si charismatiques, difficile de choisir ! Brando a longtemps vécu à Paris, à Montparnasse au Rosebud, je le croisais souvent. Une belle génération d’acteurs avec Sidney Poitier, le 1er acteur noir célèbre. Brando, faut pas l’oublier c’est le 1er acteur aux origines indiennes. Il est resté un indien toute sa vie. Les acteurs avant lui, c’étaient des esclaves.

Coutin en 1982 version Playboy
Photo d’Alain Gardinier

Brando a libéré les mœurs mais aussi traumatisé Maria Schneider dans Le dernier tango à Paris lors de la scène de la sodomie qu’il a complotée avec Bertolucci sans lui en parler.
Je n’ai jamais supporté cette scène même à l’époque. C’est inacceptable.
L’histoire que le film raconte est belle, ce dernier tango d’un homme qui joue avec les limites avant de mourir comme dans Mort à Venise. Mais avoir fait ça à une femme, c’est inacceptable. Si Maria était devant moi, je la prendrais dans mes bras pour m’excuser d’avoir payé pour voir ça. Au cinéma on est dans le domaine du jeu, du trucage, il n’y avait aucune raison de ne pas lui dire ce que Brando avait l’intention de le faire.

D’aucuns te répondront que le rock se plaçait au-dessus de la morale.
La provocation, le rock ont fait avancer le monde, oui…  Le rock, c’est un art, ce n’est pas la vie de tous les jours mais un exutoire, un levier pour faire bouger les choses, faire accepter ce que l’on n’accepte pas. C’est ce que je revendique, mais tu peux faire ce que tu veux de ta vie sans faire de mal aux autres.  Mais là, on n’est pas dans le domaine de la morale, mais du respect de l’autre.

Tu as eu 70 ans cette année, comment va ta sexualité ?
(Mort de rire) Je ne peux pas avoir de sexualité sans une espèce de passion. La sexualité permet d’aller plus loin. Tu peux vouloir jouir plus, prendre des produits, s’il n’y a pas d’affinités, il n’y a rien. Baiser pour baiser, pourquoi pas. J’ai pratiqué, merci. L’amour physique est sans issue disait Gainsbourg…

Juin 2023 : Coutin accompagné de son chevalier de bronze
Photo de Bruce TRINGALE.