Vous rappelez-vous du prénom de la grande perche au lycée, mal dans sa peau boutonneuse, traits disgracieux, jalouse à mort, air renfrogné de « Vous ne perdez rien pour attendre ! », toujours planquée au CDI à ruminer son absence de boyfriend, tout en haine et manigances rentrées ? Moi, elle s’appelait Eva. On sentait qu’elle nous le ferait payer… Un jour, elle avait envoyé valdinguer son plateau au self. Paf ! Elle hurlait comme Grimes lors d’un DJ set raté… On ne l’avait plus revue. Quelque part en Pennsylvanie, à la toute fin des années 80, dans une ferme à sapins de Noël, naissait un modèle similaire, du joli nom de Taylor. Sur les bancs de l’école Montessori du coin, elle rêvait de devenir la prochaine Shania Twain… Avance rapide de quelques années ! Au bon endroit au bon moment, Taylor arrive comme un cheveu filasse sur la soupe country, au début des années 2000, qui octroie historiquement une place de choix à la girl next door. Plus on peut s’identifier, mieux c’est.
Rien à voir à première vue, mais en 2006, j’avais vu The National en concert à Koko, mythique salle de concerts dans le quartier de Camden. À l’époque, je pensais qu’on devait la composition de toutes ces ritournelles mélancoliques au chanteur et son look de Ned Flanders. Pas du tout ! C’est Aaron Dessner, le guitariste, qui s’y colle. C’est lui qu’on retrouve aux manettes des albums de Taylor Swift depuis Folklore et c’est donc tout naturellement pour cette raison que chaque chanson ressemble à The National, dans cette « era » qui arrive après la trilogie Red, 1989 et et Reputation, qu’on « doit » (merci bien…) au hitmaker suédois, et désormais ringard, Max Martin. Nouvel album, donc… The Tortured Poets Department. Allons-y pour la séance de torture. L’impression d’être coincé dans un ascenseur pendant deux heures… Elevator music à tous les étages. Flux continu de bouillie synth-pop, tellement fade, aseptisée et indolore qu’on peut difficilement la détester. Un peu nauséeux, dans le genre coton doux, effet héroïne. Mais est-ce que ça rend accro pour autant ? Ça rentre par une oreille pour ressortir instantanément par l’autre… Nous laisserons le loisir aux autres critiques de disséquer les paroles de la « poétesse » et ses « cinq étapes du deuil » mises en musique. Je sais qu’elle tient à se faire passer pour une songwriter de haut vol mais de là à se rendre complice de la supercherie et s’attarder sur les paroles d’une éternelle ado attardée qui fait de la pop… Il y aurait beaucoup à dire sur la façon dont les Américains perçoivent les « qualités » « littéraires » de Taylor Swift et Bob Dylan. Les fans de la chanteuse s’intéressent surtout aux éléments biographiques qui parsèment ses albums, pour essayer de savoir quel ex elle dézingue dans tel morceau. Intéressant ! Public de commères complètement « delulu » (argot anglais du mot delusional, c’est-à-dire en plein délire, au sens psychique du terme), à l’image de leur idole – Taylor Swift ne peut pas vieillir, coincée dans sa boucle teenager, persuadée d’avoir du talent, d’être jolie et intéressante, d’avoir quelque chose à dire, de « mériter », en guise de petit ami, le quarterback de l’équipe de foot du lycée (en réalité, elle sort avec le tight end, mais c’est tout comme), etc. –, et pour qui les conneries de Taylor sont un évangile de bêtise. On a beau feuilleter le livret 24 pages du vinyle en forme de livre, le secouer frénétiquement, pour en faire tomber un peu de poussière d’authenticité ou quelques gouttes de sincérité, c’est peine perdue. On se rappelle de la scène, dans son documentaire Netflix, où Taylor, au bord des larmes, prend tous les risques, quitte à flinguer sa carrière, en se positionnant publiquement pour Biden lors de l’élection présidentielle américaine de 2020… « I need to be on the right side of history! », qu’elle dit. C’est son credo pour tout, mais à force de trop calculer, ça se voit et c’est gênant.