Saviez-vous que Kafka était un vampire ? Une copine me l’a appris lors d’un week-end à Prague. Elle avait d’abord pris une illustration de La Métamorphose pour Nosferatu, après l’avoir aperçue sur un tote bag dans une boutique pour touristes. Ça lui avait mis la puce à l’oreille… Mais alors que nous arrivions à hauteur de la tombe de l’auteur, dans la première contre-allée, au début du vieux cimetière juif de la ville, balayé par un vent glacial (quelle idée de visiter Prague en février), elle m’indiqua une petite gousse d’ail, juste devant, déposée là, en « offrande ». Qu’est-ce qu’elle foutait là ? Ce n’était pas une coutume juive, à ce que je sache, et Kafka n’avait pas demandé à Max Brod d’asperger ses manuscrits d’eau bénite… On le savait déjà populaire pour de mauvaises raisons, mais ça dépassait tout. Kafka fait partie des auteurs à qui on aime bien attribuer des citations inventées, d’un mur Facebook à l’autre, à commencer par le délire de la petite fille et sa poupée : Kafka se promène dans un parc, à Berlin, un an avant sa mort, et tombe sur une petite fille qui a perdu sa poupée. Ils la cherchent, sans succès. Kafka propose donc à la petite fille de revenir le lendemain, au même endroit. Ni une, ni deux, Kafka prophétise le nain d’Amélie Poulain et écrit de la part de la poupée des cartes postales et des lettres, car elle est partie en voyage ! C’est mignon, mais c’est faux. Et maintenant, Kafka était un ersatz de Dracula ? Et puis quoi encore.
Sur TikTok, c’est la génération Z qui se prend désormais d’amour pour Kafka. La génération K ! Même en « Amerika », on connaît Kafka, de nom, sans vraiment le connaître. Il jouit d’un prestige brumeux, mystérieux, comme Rilke et sa Lettre à un jeune poète, qu’on retrouve invariablement dans la liste des livres préférées de toutes les millenials « lettrées ». On ne sait pas bien pourquoi. C’est comme ça. Toujours est-il que le hashtag #Kafka totalise déjà plus d’un milliard de vues sur l’application chinoise. Sous le hashtag #BookTok, certains utilisateurs partagent leurs « ressentis » après la lecture du Procès mais pour la plupart, c’est la personnalité du mec qui importe avant tout. Les Zoomers se reconnaissent en Kafka car il était en proie à « l’anxiété », au « manque de confiance en soi », il « avait une relation conflictuelle avec son père » et « était adepte du polyamour »… Tout comme eux ! Vous ne saviez pas que Le Château était un guide de développement personnel ? C’est les limites de la santé mentale que l’arpenteur explore dans la neige, évidemment…
Bien sûr, beaucoup d’entre nous ont été consolés par les allégories géniales du juriste praguois ; ses pages aussi tragiques que drôles (on meurt de rire en lisant Kafka, il faut le rappeler !) sur l’aliénation, l’arbitraire et l’injustice sont autant de balises pour se repérer dans la nuit du monde. Cette année, on fête le centenaire de sa mort. Qui a dit qu’on ne lisait plus ? Au mois de mai, les ventes des éditions Folio de l’auteur ont été multipliées par trois.