Le champ des possibles par Vero Cazot et Anaïs Bernabé

Un article de Bruce TRINGALE

VF : Dupuis

Le champ des possibles est le nouveau roman graphique de Vero Cazot qui en signe le scénario, adjointe d’Anaïs Bernabé aux illustrations. Il s’agit de leur première collaboration.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Vero Cazot ne fait pas dans la facilité : survivre à un cancer du sein (Betty Boob), nos solitudes urbaines et amoureuses (Les petites distances), le refus de faire un enfant au risque de passer pour une anomalie génétique (Et toi, quand est-ce que tu t’y mets ?), l’aventure d’une fillette autiste (le merveilleux conte Olive), Cazot a ce talent rare : divertir avec du grave, délivrer cette prose souriante et optimiste lorsque d’autres avec les mêmes thèmes auraient déverrouillé le mode auto-destruction.

La voilà donc s’aventurant dans les contrées du transhumanisme : et s’il était désormais possible de vivre simultanément et en temps réel, nos vies physiques et virtuelles rendues quasiment aussi vraies en terme de sensations, de decorum et surtout de sentiments ?

C’est bien évidement cette dimension qui fascine Cazot puisque si l’amour est cette capacité à aimer l’autre au delà des apparences physiques, sociales ou de genre, pourquoi serait-il moins authentique que celui physique et sans issue ?

Les plus conservateurs pourront hérisser sourcils et poils au vu des scènes progressistes proposées par le duo : trouple, nouvelle parentalité et du polyamour redéfinis par ces nouvelles frontières aussi bien virtuelles que sociologiques.

Le lecteur suit ainsi les vies de Marsu, une jeune femme brillante qui, en poursuivant son destin de femme amoureuse dans le monde physique, prend un amant dans une réalité virtuelle dont l’addiction se fait plus prenante.

La force de Cazot est de ne jamais se laisser piéger aux tropes de cette littérature fantastique : Marsu est bien addict mais ne sombre dans aucune décadence mentale ou physique ; pas de violences, de pathos ou d’auto-appitoiement : si ce nouvel ordre amoureux pose les bonnes questions autour de sa longévité et sa fidélité, ses réponses se règlent entre adultes réfléchis et posés. Il s’agit sans nul doute du travail le plus personnel de la scénariste.

Anaïs Bernabé délivre quant à elle, une prestation tout en douceur avec des personnages plaisants au regard, une mise en scène aérée et aérienne, harmonieuse et charnelle, érotique et cérébrale pour raconter une histoire humaniste offrant en définitive le meilleur des deux mondes. Tout sous son crayon est luxe, calme et volupté pour proposer ces pages d’idéal sans spleen. Parce que, quelque soit le chemin, qu’il soit de traverse ou clouté, l’amour que l’on prend vaut celui que l’on rend.