David Lynch, un marginal à Hollywood par Ian Nathan

Un article de Bruce TRINGALE

David Lynch, un marginal à Hollywood  est l’édition française parue chez Huginn & Muninn de David Lynch, a retrospective par Ian Nathan. La traduction, impeccable, est signée Jérôme Wicky, bien connu des amateurs de comics.

L’ouvrage dispose d’une maquette attrayante et lisible, fort de 230 pages qui alternent entre photos officielles et de tournages rarement publiées. Le contenu ravira à la fois les fans du maître et permettra une première approche fluide aux néophytes. Aucun mystère Lynchien là-dessus, c’est du bel ouvrage.

Lynchien, oui. Comme Hitchcokien, David Lynch fait partie des rares réalisateurs dont le nom a été décliné en adjectif pour définir cette étrange fascination (là, c’est chez David Bowie que notre rédacteur remplit son caddie) qu’exerce ce dernier roi faineant (neuf films en 45 ans de carrière) sur la psyché cinéphile.

Films par films, Ian Nathan consacre son ouvrage aux coulisses d’invariables chefs-d’oeuvre : Eraserhead qui nécessitera cinq années de tournage pour voir le bout d’un tunnel infernal, le tournage enjoué de Sailor & Lula, celui contemplatif d’Une Histoire Vraie ou l’invraissemblable fabrication de Mulholland Drive série TV avortée par les financeurs d’ABC, paniqués par la copie rendue par Lynch et pour laquelle il faudra la persévérance de StudioCanal pour transformer un brouillon en chef d’oeuvre.

La tête de Laura Palmer, enveloppée comme une fleur du mal

Excentrique jusqu’à la carricature, Lynch est finalement le personnage principal de tous ses films : ce candide naïf, capable de présenter la météo sur son site, qui va traverser les cauchemars de la paternité (Eraserhead), devoir surmonter le regard de ses contemporains qui le considèrent comme un monstre de foire (Elephant Man), refuser la place de messie du blockbuster (l’échec fracassant de Dune le conduira vers le retour salutaire au film d’auteur avec Blue Velvet en étendard. Il aura même été approché par Georges Lucas pour réaliser Le Retour du Jedi !) et imposer le script atypique d’Une histoire vraie, la transposition à peine déguisée de la lenteur de ses projets.

Lynch a révolutionné le cinéma en équilibrant la part du rêve et du cauchemar made in glamour. Il improvise une trilogie sur Los Angeles constituée de Lost Highway Mulholland Drive Inland Empire (qu’il tourne avec une caméra numérique bas de gamme !) à partir de notes griffouillées sur un coin de table. Il défigure à jamais le format de la série TV propre sur elle avec Twin Peaks, où certains personnages joueront trois rôles différents à 25 ans d’intervalles.

Admiré par Kubrick lui-même, conspué par Tarantino qui lui doit beaucoup, Lynch est ce Dieu à la fois si proche (capable de choisir Naomi Watts pour Mulholland Drive sur une simple photo et après une audition ratée) et si loin (personne n’est capable de déchiffrer cet esprit à tiroirs chaleureux et impenetrable); cette retrospective de Ian Nathan en est l’évangile.
Amen.