Nous avons rencontré le duo à l’origine du groupe Metro Verlaine à l’occasion de la sortie le 9 février 2024 de leur troisième album « Pop Sauvage » et en prévision sur leur concert parisien à la Boule Noire le 23 mars. Plutôt que de leur poser les questions auxquelles ils ont déjà répondu un milliard de fois, nous avons opté par un échange fluide, décalé, profond, comme une longue discussion où Axel, le guitariste, et Raphaëlle, la chanteuse, ont pu livrer leurs secrets. Nous avons beaucoup apprécié leur disque très original en France, mélodique, travaillé, aussi doux et californien que sombre et mancunien, fait autant pour prendre la route que pour faire l’amour. Voici ce que leur biographie nous apprend :

« Un coup de foudre, et puis le romantisme comme mode de vie, Metro Verlaine est avant tout une histoire de passion.  Fondé en 2013, après un voyage a Londres qui a laissé des cicatrices et un sale goût de lose au fond de la gorge, l’histoire de Metro Verlaine est celle d’un duo. Axel à la guitare et Raphaëlle au chant s’enferment dans un petit appartement ébroïcien pour y travailler jour et nuit. Les compos s’affinent et la boîte à rythmes minimaliste devient un atout pour le duo. Amoureux du post-punk première vague et de la scène sauvage du CBGB’s, Metro Verlaine affine petit à petit son identité musicale.
Après avoir écumé les arrières salles crasseuses des bars normands et parisiens, un batteur est recruté et le premier EP « Manchester » est enregistré dans la foulée, il ouvre au groupe les portes des pubs de l’Angleterre si chère à leur musique.
Le groupe recrute un bassiste et un deuxième guitariste histoire de colorer un peu plus sa pop noire et enregistre en 2017 son premier album « Cut-Up » sous la houlette de Charles Rowell (Crocodiles). Repéré aux Transmusicales de Rennes, Metro Verlaine tourne jusqu’en 2019 en France et au Royaume-Uni pour défendre son premier opus.
L’envie de sortir un deuxième album se fait vite ressentir et en mars 2020, une première session d’enregistrement est calée à New-York pour travailler avec Jared Artaud (Vacant Lots). A quelques jours prêts, le covid fait son apparition et l’avion pour les Etats-Unis ne décollera jamais. Axel et Raphaëlle travaillent toute l’année 2020 et décident d’entrer en studio en 2021 chez eux à Evreux pour y enregistrer « Funeral Party », un deuxième album post punk qui verra le jour en Mai 2022 chez Kids are Lo fi et le Cèpe Records.
Après une tournée française printemps/été 2022 Raphaëlle et Axel se remettent à écrire pour un troisième album et entrent en studio une nouvelle fois accompagnés du producteur Charles Rowell mais cette fois-ci dans les studio de Quiksilver à St Jean de Luz. Voici « Pop Sauvage » ! »

Playboy : Qu’est-ce que vous préférez entre le studio et la scène ? Je sais que beaucoup d’artistes prétendent que la scène est leur endroit de rêve mais moi, étant aussi musicien, j’ai toujours eu beaucoup de mal à m’y épanouir à cause des limitations techniques, des compromis à y faire…

Axel : C’est très différent. Moi, je suis vraiment branché par le studio, toutes les possibilités que ça offre, la recherche du son, expérimenter des choses, se marrer, se tromper, sublimer les erreurs quand on se rend compte qu’en reversant une guitare un peu fausse ça fait une loop superbe… Je crois qu’on partage quand même l’amour de la scène parce qu’on s’y amuse beaucoup. Raph’ est très énergique et c’est là où tu t’exprimes le mieux, non ?

Raphaëlle : Carrément ! Pour moi, la scène c’est ce pour quoi je fais ça. Le studio, j’apprends à l’apprécier mais ça n’a pas toujours été le cas. Ça a été la corvée pendant bien 5 ans. Mais je n’y tiens pas en place. Trop de temps morts !

Vous êtes différents alors ! Mais la scène, elle, ça a été jusqu’à être une corvée un jour ?

Axel : Au début, ça a été très dur. Raph’ me rassurait beaucoup. J’ai chanté un peu dans des groupes de punk avant de me lancer dans Metro Verlaine à la guitare, et j’étais extrêmement stressé, ça me gâchait les performances. Et un jour, je me suis forcé, et je me suis dit de prendre le concert du soir comme le dernier, comme si je raccrochais après. Bizarrement, ça m’a libéré, même physique où je bougeais beaucoup plus et j’en avais plus rien à foutre de ce que les gens allaient pouvoir penser ou de la peur d’être ridicule, ce genre de trucs qu’on se dit quand on se retrouve face à 400 personnes. Finalement, c’est un truc que j’ai appris à apprécier avec Raph’ et qui est devenu nécessaire.

Je voulais vous interroger sur votre premier single Birthday party sur ce disque car je l’ai trouvé un peu à part, un peu plus pop, californien… Vous l’avez choisi pour ça ?

Axel : Tu l’as dit, ce n’est que le « premier » single, et il nous a permis de faire la transition entre l’album d’avant et celui-ci. C’était une évidence, et comme une manière de faire un morceau un peu pop et clean avant de passer à autre chose…

C’est d’ailleurs ce que montre le clip qui commence pastel et mignon et termine plus dark !

Raphaëlle : C’est comme la dualité de notre musique et qu’on a entre nous !

J’ai entendu un journaliste vous comparer au Kills. Je trouve que cela ne saute pas aux oreilles même si je comprends pourquoi, mais cela me permet de poser la question : Axel, sur des chansons des disques précédents, et là tu ne chantes plus du tout. Pourquoi ?

Axel : Parce que quand on était en studio j’ai préféré me concentrer sur les arrangements, et cette fois Raphaëlle a proposé de doubler sa propre voix, comme beaucoup de groupes qu’on aime et au final il n’y avait pas de besoin d’une voix plus grave.

Vous venez d’Évreux, et je me demandais si vous aviez déjà eu envie d’en partir ?

Raphaëlle : Ouh la ! Pfiou ! Notre carrière est basée là-dessus. C’est bizarre. On a une qualité de vie qui nous convient, on a nos copains…

Axel : Tous les jours pendant dix ans. Évreux, on l’a détestée  autant qu’on l’a aimée parce que c’est la ville où on a grandi. Moi j’ai vécu un peu à Londres et à Rouen et en revenant j’ai rencontré Raphaëlle, et quand on a commencé le groupe ça semblait naturel de pas vivre à Paris où tout semblait bouché, c’est plus dur de trouver un local de répètes… Et puis Évreux c’est une ville à double-tranchant, un peu comme Charleville-Mézières pour Rimbaud. Il a passé sa vie à essayer de se barrer mais il revenait toujours ! Mais c’est aussi très trivial, en vivant ici tout est plus abordable et on peut plus bouger, être plus libres, et peut-être qu’on voit plus le monde ici que dans une grande ville. C’est aussi pour ça qu’on a renoncé à vivre à Londres. Tout ce qu’on ne veut pas, c’est mourir à Évreux !

Ce serait mieux où, alors ?

Axel & Raphaëlle : Bah, Manchester…

Les autres membres du groupe sont ici d’Évreux ? Quelle est la formation en ce moment ?

Axel et Raphaëlle : Ce sont des amis souvent avant d’être des membres du groupe. Là, on a cette formation depuis trois ans, malgré un changement de bassiste. Cette formation nous convient mais on n’oublie pas que le groupe c’est nous deux.

Vous n’avez d’ailleurs jamais eu envie d’être deux, en mode boite à rythmes, pour aussi se libérer de la contrainte du travail en équipe toujours plus délicat ?

Raphaëlle : Il y a deux trucs… Moi j’ai l’impression en ce moment que l’industrie du booking te force à réduire les effectifs sur scène et j’ai pas envie de forcément répondre à ça… Et puis aussi en effet c’est chiant de caler 5 ou 6 agendas mais j’ai pas envie de prendre des décisions par flemme.

Axel : Oui, il se passe vraiment un truc avec cette formation en fait… Mais oui, parfois quand je réécoute des démos du début, je me dis qu’on devrait s’en faire un à deux… Et puis après, l’envie de rajouter des instruments arrive, et voilà…

Et jouer au clic, avec des samples, etc. ?

Axel et Raphaëlle : Oh non, ça nous ferait chier, on pourrait pas ! En fait, on l’a déjà fait de jouer sur une boite à rythme et, même sans être Joe Strummer, c’est très formateur pour la rythmique. Et aussi, en tournée, d’être 5 ou 6, avec l’ingé son, c’est une expérience, c’est une sorte de meute, c’est plus plaisant en bande.

Et à l’inverse, est-ce qu’en studio vous avez instauré quelque chose de plus dictatorial ? Car il y a toujours ce défi…

Raphaëlle : Il faut mettre les choses au clair dès le départ. La communication c’est super important. C’est une question de confiance aussi, les autres doivent vouloir mettre leur maximum dans le périmètre qui est le leur.

Axel : Sur la compo, oui ! On a écrit le disque à deux, on a envoyé les parties aux gars en leur disant qu’on leur demande d’apporter leur jeu à eux mais pas de changer de la ligne. C’est quelque chose qu’on assume et qui leur va très bien aussi parce que ça les soulage aussi de cette mission.  L’avantage c’est qu’ils peuvent aussi s’investir dans d’autres projets.

Si vous pouviez choisir votre line-up de rêve, en plus de vous deux, pour former un groupe, il y aurait qui dedans ? Vivants ou morts bien sûr !

Raphaëlle : Wow, c’est dur là !

Axel : Je prendrais Joe Strummer à la guitare rythmique. Simon Gallup à la basse. Et à la batterie… eh bien tu vois je prendrais le premier batteur de Jesus & Mary Chain, Bobby Gillespie. Et en choriste, Amy Winehouse !

Raphaëlle : Ah, salaud ! Moi j’ai pas assez d’inspi là… Moi je ferais un truc avec trois voix, genre les Ronettes, il y aurait moi, Amy et la meuf des Ronettes.

Dans le même genre d’idées, si vous pouviez aujourd’hui faire une collab avec quelqu’un, un producteur, un artiste, ce serait qui ?

Axel : Moi ce serait de travailler avec Robert Smith. Le gros délire ce serait de bosser sur un morceau des Cure, genre de l’arrangement…

Raphaëlle : Moi, un petit duo avec Lana Del Rey !

Je reviens sur le nom du groupe dont vous avez déjà beaucoup parlé, donc je ne vais pas vous interroger sur ça, mais par contre est-ce que vous avez déjà songé à faire quelque chose avec les textes de Verlaine, les mettre en  musique…

Axel : Au début, on lisait des poèmes en concert.

Raphaëlle : On lisait aussi du Jim Morrison.

Mais le chanter carrément ?

Axel et Raphaëlle : Ah ouais, bonne idée… Des fois on y pense ! Mais il faudrait que ce soit psyché ! On va le mettre sur CD dans 6 mois et tu vas réclamer des droits…

Non mais il y a aussi la prose de Verlaine qui est parfois même plus forte que sa poésie !

Axel : C’est un poète que j’adore, au-delà du côté poète maudit. Je trouve qu’il y a certains de ses textes qui sont presque des chansons. Là où Baudelaire c’est plus galère, même si Léo Ferré l’a fait. Verlaine, c’est l’évidence.

Sur le disque, tout est en français sauf une chanson (Garden of love) qui est en anglais : pourquoi ?

Axel : Celle-ci je l’ai écrite tout seul, elle parle d’un pan de ma vie difficile et de quelqu’un en particulier que j’ai cherché à exorciser et ça me semblait évident, cette personne étant toujours vivante et parlant mal anglais, de la faire dans cette langue comme un ultime doigt d’honneur.

Profitons de la tribune Playboy pour en parler : c’est quoi la place de la sexualité dans votre musique ou votre processus créatif. Est-ce important ? Est-ce que ça n’a aucun rapport avec votre façon de créer ?

Raphaëlle : Si, ouais !

Axel : C’est là parfois. Il nous arrive d’écouter notre travail et de nous dire que tel morceau est parfait pour faire l’amour. Et c’est déjà arrivé qu’on nous en parle ! C’est hyper touchant et ça me fait le même effet que quand on me dit qu’on a aidé quelqu’un avec sa dépression. Et dans la musique c’est plus une sorte de rapport au groove, de ressentir des choses… Et je pense que d’une certaine manière, même si on le met peu en avant sur scène, il y a un truc très sauvage dans l’attitude de Raphaëlle sur scène. C’est assez marrant d’être le groupe autour et de voir des gens hypnotisés.

Tout de même, un groupe de rock avec une leader femme, c’est rare, et qu’on le veuille ou non, cette composante est présente. Toi, Raphaëlle, tu y penses à ça, à la sensualité, etc. ?

Raphaëlle : J’ai aucun problème à dire que je suis dans la séduction, que ce soit quand je chante, que ce soit dans ma façon d’être sur scène, parce que je suis comme ça, du coup c’est une grande part de vouloir séduire quand je chante, bouge, regarde…

Ça se voit aussi dans les looks ?

Raphaëlle : Non, pas trop. Et puis le rapport au corps n’est pas toujours évident pour quelqu’un qui est à ma place, c’est assez dur, donc mon critère c’est de me sentir bien moi-même.

Est-ce que vous avez déjà songé à avoir une autre femme dans le groupe ou est-ce que vous pensez que cela poserait problème ?

Raphaëlle : J’adorerais. Même si j’ai un côté très masculin en moi qui me permet de passer beaucoup de temps avec les mecs, je reste la seule nana et parfois j’aimerais bien en avoir une autre avec moi dans le camion, sur scène, une présence féminine ce serait géniale. Mais j’adore les gars !

Quid de l’engagement politique en musique ? Vous qui venez aussi du punk et du post-punk, est-ce que c’est un truc qui vous plait, qui vous gonfle ?

Raphaëlle : Question épineuse !

Axel : C’est à double tranchant parce que des fois on a l’impression de passer des messages qui sont essentiels pour nous et en même temps on ne veut pas être les apôtres de quoi que ce soit. C’est un gros débat qu’il y a par exemple dans le post-punk anglais ! Ça devient vite trop moralisateur, ou trop de gauche, ou de droite… Nous, ce qui nous intéresse c’est plus d’essayer de voyager, de sortir d’une condition qui certes, et j’adore les Clash, vient d’un monde prolétaire, mais aujourd’hui je n’ai pas envie d’écrire sur la difficulté de trouver un job. Les gens le vivent, ça ! C’est dur pour tout le monde, ils n’ont pas besoin que je vienne leur dire.

Raphaëlle : Moi je ne me sens pas légitime d’être militante. Je suis plutôt concentrée sur ma santé mentale, sur ma vie, et si jamais un jour ça vient, je ne le ferai pas forcément exposée ou l’intégrer à mon art. Tu n’as pas besoin de le dire, l’art c’est déjà une révolte en soi. Moi je suis dans l’action, pas dans la parlote !

Axel : Il y a un morceau que Raph’ m’a fait découvrir et qui pour moi résume bien ce qu’est une chanson engagée sans tout ce qui va autour, c’est Strange Fruit de Billie Holiday. C’est poétique, hyper fort, mais subtil. Je suis sûr que des gros racistes ont kiffé le morceau sans savoir ce qu’elle chantait !

C’est quoi le rêve du groupe pour les dix ans à venir ?

Axel : Aller plus à l’étranger ! On l’a pas assez exploité. Je sais que je ne serai jamais les Stones, et si je dois jouer à Paris je logerais sûrement dans une piaule pourrie, mais c’est la vie dont j’ai rêvé. Je veux juste vivre plus de choses !

Vous avez déjà eu envie de faire des compromis pour réussir plus ?

Raphaëlle : Le groupe tel quel passera toujours en premier. Après, on fait d’autres choses à côté ! Axel fait de la photo et il écrit. Moi, j’ai des tafs à côté…

Axel : Artistiquement, on nous a déjà conseillé de faire autrement pour mieux réussir. J’ai toujours pensé « no way ». On m’a fait chier longtemps pour faire plus de la pop et en français. Voilà qui est fait ! Mais à notre manière. Je ferai toujours ce que je veux.

Oui, mais il y a une mode depuis 5 ans de groupes jeunes qui reprennent le délire new wave ou Etienne Daho… Vous auriez pu foncer là-dedans !

Axel : Oui, c’était le truc facile. J’adore Niagara, on aurait pu devenir les nouveaux ! En plus commerciaux encore… Et en fait, il faut te poser la question de la part de liberté si tu choisis d’être un artiste et qu’en fait inconsciemment tu te mets des barrières car tu penses au succès…

Il vaut mieux avoir 100 auditeurs ou lecteurs qui adorent quelque chose qui est exactement ce que tu as voulu faire plutôt que 1000 qui aiment un truc dont tu aurais honte.

Axel et Raphaëlle : Merci pour l’interview un peu décalée, on préfère le côté discussion, comme ça !

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Enregistrement : Stone Island Records & Octopus Garden Studio
Production : Charles Rowell / Geoffrey Batard & Axel Verlaine Mixage : Arthur Guegan / Axel Verlaine & Raphaëlle Verlaine Mastering : Deviant Lab

Ecriture et Composition : Axel Verlaine & Raphaëlle Verlaine

Pochette de l’album :
Photo : Ella Hermë
Artwork : Axel Verlaine & Pierre Cabanes