Jon Bon Jovi est extrêmement malheureux. Le documentaire qui retrace son histoire et celle de son groupe, intitulé Thank You, Goodnight : the Bon Jovi story, sorti il y a quelques jours sur Hulu, révèle les problèmes de santé que rencontre le chanteur depuis une dizaine d’années. Comment chanter avec les cordes vocales atrophiées ? Entre 2008 et 2013, période bénie, golden years miraculeuses, Jon était pourtant intouchable. Le concert au Madison Square Garden en 2008 est une masterclass absolue, mais depuis 2013, Jon Bon Jovi n’est plus lui-même. Laser, acuponcture, vitamines, collagène… Rien n’y fait. En 2022, il décide donc de se faire opérer pour tenter de remonter le temps et se retrouve désormais avec des bouts de plastique dans la gorge, censés lui permettre une meilleure occlusion de ces cordes vocales qui ne laissent plus passer qu’un filet de voix, aussi blanc que les cheveux qui ont fait son succès. C’est peine perdue, et même s’il doit probablement le savoir, il garde espoir…

La carrière du groupe est trompeuse. Départ ridicule au début des années 80, grâce au single phare, Runaway, avec tous les mauvais choix esthétiques de l’époque : cheveux peroxydés et combinaisons en spandex trouées auxquels seul Axl Rose a su échapper. Deuxième album pitoyable qui ne se vend pas mais succès foudroyant avec le troisième : Slippery when wet. Dans l’inconscient collectif, Bon Jovi est à ranger avec Motley Crue et Poison. Des gros cons déguisés qui font à peine semblant de faire de la musique pour de bonnes raisons. Des mecs du New Jersey déguisés en cowboys… C’est véritablement en 1988, avec New Jersey, puis avec la bande originale du film Young Guns 2, que Bon Jovi « se trouve » enfin et entame la modernisation d’un son qui lorgnait un peu trop du côté de Van Halen. Pas une mince affaire ! Arrivent pourtant ensuite deux disques incroyables, au tournant des années 90, Keep the faith et These days, entrecoupés par un single, leur meilleure chanson, la power-ballad parfaite, aux mélodies indiscutables, au-delà du ringard et du kitsch, à des années-lumière des productions sirupeuses du genre, l’exception à la règle : Always. Cette période du groupe aura été masquée par plusieurs choses : l’image ringarde de groupe de hair metal qui colle à la peau ; le grunge et le rejet du culte de la rockstar, complètement démodé par Kurt Cobain et ses cardigans de simili-clochard, dans une époque désillusionnée pour qui la grandiloquence, le mélodrame et le mythe (plutôt ironique au vu de la trajectoire de Nirvana) sont à proscrire ; et une subtilité dans la composition et la production qu’on ne pouvait pas forcément prophétiser, tant les rouleaux compresseurs que sont Livin’ on a prayer ou You give love a bad name ont fait la renommée du groupe.
Dans sa quête assoiffée de succès, à l’américaine, sans jamais rechigner à louer son âme au meilleur collaborateur du moment (Desmond Child dans les années 80 et 90 ; Max Martin au début des années 2000 – c’est à lui qu’on doit It’s my life), avec des facettes sur les dents et le physique idéal pour l’emploi, Jon Bon Jovi demeure étonnamment bien plus honnête que son copain du New Jersey, Bruce Springsteen, qui maquille depuis des décennies son cynisme derrière un vernis Leroy Merlin. Chez Jon, tout semble factice. On a constamment l’impression de ne voir que l’acteur hollywoodien qu’il pense être, une illusion de sincérité, mais par une sorte de prodige, comme dans un mélodrame de Douglas Sirk, ça fonctionne ; cette représentation, ce mirage de la vie, finit par atteindre quelque chose de plus haut, un petit bout de Vérité, aussi désarmant que le refrain d’In these arms. Dans le plus beau plan du documentaire, à la fin du dernier concert de sa vie, Jon se retourne une dernière fois vers la scène, avec le regard triste du boxeur qui vient de faire le combat de trop. Les yeux aussi bleus que son débardeur fétiche, perdus dans ceux du public, comme pour sonder les cœurs qui n’oublient pas ce qu’a représenté la diffusion sur M6 du Live in London, le show de Bon Jovi à Wembley, un soir de 1995, dans l’ancien monde. Thank you et goodnight, donc.