Janvier 2022, Fashion Week parisienne. C’est partout le bruit des bottes Balenciaga ! Ye ne peut décidément rien faire comme les autres… On l’entend arriver de loin, avec ses gros sabots. Il porte le modèle Excavator, pour être précis. C’est vrai que dans le genre engin de terrassement, il fait office de nec plus ultra. Depuis vingt ans, Ye remet tout à plat : la musique, la mode, le design, le rapport à l’art, à la célébrité, à l’argent, à soi… Le chef d’orchestre du monde post-Instagram doit avoir une baguette magique, ce n’est pas Dieu possible. Il nous serinait bien I am a God sur l’album Yeezus. Et si c’était vrai ? Par une miraculeuse opération du Saint-Esprit, toutes les attentes d’une génération ont infusé dans cette enveloppe corporelle qui se déplace désormais pieds nus. Jour après jour, le bipolaire polarise l’opinion.
S’il n’existait pas, il faudrait le cloner. C’est d’ailleurs ce que pensent un certain nombre d’imbéciles, persuadés qu’ « ils » ont tué le vrai pour le remplacer, après son tweet jugé antisémite, par un humanoïde plus simple à contrôler…
Aux dernières nouvelles, Ye a déménagé. Le ranch du Wyoming est à moitié abandonné. Kim n’est pas prête d’y remettre le pied à l’étrier – on se souvient des photos de toute la famille à cheval – puisque Ye s’est remarié. Sa nouvelle amie, Bianca Censori, est une sorte de Kim revisitée. Lune de miel dans l’Utah puis retour à L.A., où ils crèchent à l’hôtel, en plein Malibu, dans l’une des seize chambres du Nobu Ryokan, juste à côté du restaurant du même nom, où les célébrités se ruent pour manger des makis. Qu’est-ce qu’il peut bien faire de ses journées ? Descend-il parfois l’escalier de sa chambre qui mène directement à Carbon Beach ?
Va-t-il pêcher lui-même le poisson qu’il faisait servir à la Donda Academy ? Enlève-t-il ses bottes pour se tremper les doigts de pieds dans l’écume des vagues californiennes ? Le personnel de l’hôtel assure qu’il marche sur l’eau… Y en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler ! Il y a de la houle aujourd’hui, le vent s’est levé. Face au chaos des éléments, Ye tient le cap. Il en aura fait des vagues ! Loin d’avoir dit son dernier mot. No cap! Sur Twitter, la rumeur parle de la sortie d’un nouvel album intitulé Man across the sea, « l’homme de l’autre côté de la mer »… C’est faux mais ça lui va comme les gants de moto Dainese X-Ride qu’il portait au concert pour la libération de Larry Hoover.
Alors qu’il regarde l’étendue infinie étinceler dans les rayons du soleil couchant de Malibu ; les fumées des petites cheminées, typiques des arrière-boutiques américaines, s’évaporent doucement, de part et d’autre de l’hôtel, et s’entremêlent dans un ciel dont le smog coloré semble donner forme à de nouveaux immeubles au-dessus des anciens, comme si une nouvelle ville prenait vie dans l’air, transformant cet enfer sur terre en fantasmagorie semblable à un rêve éveillé. En plissant les yeux, il en aperçoit les contours, fusion de l’imaginaire et du réel.
D’une main, il parcourt délicatement la courtepointe Anichini en soie qui recouvre le lit gigantesque. Ye pense à sa résurrection prochaine. Si ce n’est ici-bas, au moins, dans les nuages… N’y aperçoit-on pas déjà le visage de sa mère morte ? Ye demeure optimiste, c’est sa marque de fabrique ; quand bien même dehors, ailleurs, partout, on rejoue les derniers jours de Sodome et Gomorrhe. Et s’il partait enregistrer un disque en Italie ou en Arabie Saoudite ?